Jean-Claude Lazarewicz : « Mon seul objectif, c’est transmettre la mémoire de la mine »

C’est une date anniversaire qui ravive les traumatismes à Gardanne. Il y a vingt ans, la mine fermait, poussant 500 mineurs vers la sortie. Jean-Claude Lazarewicz, le dernier directeur de la mine, revient sur ce moment douloureux et évoque la situation du charbon à l’heure de la transition énergétique.

En marge d’une conférence à la médiathèque de Gardanne sur la fermeture de la mine, date anniversaire oblige, nous avons rencontré Jean-Claude Lazarewicz. Arrivé à la direction de la mine de charbon de Gardanne en septembre 2000, il est l’un des derniers hommes à être descendus « au fond ». Cet ingénieur des Mines, reconverti président du district PACA et Corse de la société de l’industrie minérale, n’était pas destiné au charbon, pourtant devenu une partie intégrante de sa vie. Aujourd’hui, il veut témoigner auprès d’une génération qui a peu connu le diamant noir.

La mine de Gardanne est encore dans les mémoires. Vous qui y avez passé plus de dix ans, que pouvez-vous nous dire sur l’importance de cette exploitation du bassin minier de Provence ?

C’est une longue histoire dans la région. On retrouve des traces des premières extractions du charbon au Moyen Âge, et elle se poursuit jusqu’au dernier puits de Gardanne qui a démarré son activité en 1989. C’est l’année au cours de laquelle je suis arrivé en tant qu’ingénieur dans le bassin provençal, un an après un conflit social majeur lié à des revendications salariales. À son apogée, la mine employait jusqu’à 1500 travailleurs, sur la fin on tournait plus autour de 500. On avait arrêté d’embaucher en masse depuis des décennies pour se tourner de plus en plus vers de la sous-traitance. En 2000, je suis devenu directeur de l’exploitation, jusqu’à sa fermeture.

Justement, le 31 janvier 2003, la mine ferme. Était-ce pour des raisons économiques ?

Tout à fait ! À l’époque, on ne parlait pas d’écologie, la question n’était pas là. Sur le plan économique, cela faisait plusieurs années qu’on était déficitaires. Pendant longtemps, la centrale et la mine formaient une entité commune. En 1994, il y a eu une scission car la mine tirait la centrale vers le bas financièrement. Cette dernière a été vendue et cela lui a permis de revivre. La mine, quant à elle, s’est effondrée mais c’était inéluctable. Il fallait creuser de plus en plus profond pour extraire le charbon, jusqu’à 1100 mètres ! Et les coûts de production devenaient énormes. Je suis fier de le dire : le mineur, il n’y a rien qui l’arrête. Même lorsqu’il y a des glissements de terrain, on trouve des solutions. Mais quand les recettes ne suivent plus, malheureusement il n’y a plus rien à faire.

pour plus tard
Dominika Lasota, militante polonaise : « Comment accepter d’être aussi dépendants au charbon ? »
Replongeons-nous au début de l’année 2003. Comment vivez-vous de l’intérieur la fermeture de la mine ?

Le vendredi 31 janvier 2003, l’exploitation de la mine est arrêtée. C’est un moment très particulier pour tout le monde même si ça avait été annoncé.

Il se produit tout de même quelque chose d’inattendu : il était décidé de stopper l’exploitation mais pas de fermer la mine. Tout s’arrête d’un coup ! Le site devait cesser l’extraction du charbon mais il y avait un délai prévu pour fermer « proprement » la mine. Cela n’a pas pu se faire : les mineurs ont mené des actions d’occupation qui ont effrayé les services de l’Etat.

Je suis fier de le dire : le mineur, il n’y a rien qui l’arrête. Mais quand les recettes ne suivent plus, malheureusement il n’y a plus rien à faire.

Jean-Claude Lazarewicz, ingénieur et ancien directeur de la mine de Gardanne

Ça ne s’est vu nulle part ailleurs. Pour vous donner une idée de l’ampleur, le dossier est remonté au niveau du ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy. On nous a donné ordre juste après le 31 janvier d’arrêter la mine et de bloquer les descentes. Les mineurs sont descendus une dernière fois et ont extrait les dernières tonnes de charbon. Cela a été une décision brutale aussi pour eux. Il était prévu de récupérer le matériel quelques jours plus tard mais on n’a même pas pu le faire. Le lundi matin, on a mis les puits en panne. Forcément, ce sont des moments que l’on n’oublie pas.

Qu’est ce qui a été mis en œuvre juste après cet arrêt soudain de la mine ? Reste-il des vestiges ?

Tout est resté en bas, notamment une partie des machines. La seule décision prise a été de dépolluer la mine. Les opérations au fond ont débuté suite à une réunion en préfecture au mois d’avril 2003. Je me souviens encore de ce rendez-vous un lundi soir à Marseille avec le préfet de police, Roger Marion, et le préfet de la région, Christian Frémont. La situation sociale était encore agitée, même trois mois après la fermeture. Il y avait des barrages de protection sur le site afin que l’on puisse travailler sereinement à la dépollution.

Les mineurs de Gardanne sont descendus pour la dernière fois en 2003.

L’ultime descente

En quoi ont consisté les opérations de dépollution ?

Nous avons remis les machines en route et nous sommes descendus dans le puits. Ensuite, nous avons vidangé tous les réducteurs de convoyeur, tous les bidons, tous les fûts au garage du fond. Nous avons sorti tous les fluides et quelques outils. Le dernier jour, l’Inspection du Travail nous a accompagnés pour vérifier que nous avions mené à bien cette opération. C’était un vrai défi, car nous avons dû boucler la dépollution en un temps très court. Nous avons travaillé douze heures quotidiennement pendant quatre jours avec des dérogations de travail. C’était la dernière fois que je descendais dans la mine. Après ça, c’était terminé. En parallèle, les discussions sociales étaient en cours et le Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) a été appliqué à l’été 2003.

Que sont alors devenus les mineurs ?

La plupart était proche de la retraite. Ils ont pu partir à des conditions avantageuses, comme le salaire maintenu jusqu’à l’âge légal de départ. Les syndicats ont obtenu gain de cause sur une grande partie de leurs revendications et, sans vouloir entrer dans les détails, les mineurs sont partis avec des gros chèques. 

Certains ont intenté une action en justice contre l’Etat pour la reconnaissance de maladie professionnelle liées au travail à la mine. Qu’en est-il de leur santé ?

Il y a effectivement une plainte déposée par un syndicat en Lorraine, à laquelle certains mineurs de Gardanne se sont rattachés, par rapport à l’impact de l’utilisation de certains produits qui peuvent créer des pathologies cancéreuses (La plainte de la CGT Charbon de Gardanne est indépendante du syndicat lorrain, ndlr).

Je rappelle que le type de charbon, que nous avons en Provence, n’a jamais généré de silice, et donc de silicose, bien heureusement. Nous avons suivi les mineurs avec la médecine familiale. Il y a eu des dégradations de l’état de santé de ceux qui aimaient bien aller au bistrot avant la fermeture et qui y sont allés un peu plus souvent après (rires).

Je ne dis pas que c’est glorieux de renvoyer certaines personnes à la maison à 42 ans ou un peu plus.

Jean-Claude Lazarewicz, ingénieur et ancien directeur de la mine de Gardanne

Je veux dire que certains ont vu leur état se détériorer à la retraite par l’oisiveté de leur nouveau mode de vie. Pour moi, il n’y a pas eu tant de problèmes liés à l’exposition aux risques à la mine de Gardanne, peut-être même moins qu’ailleurs. Par contre, je ne dis pas que c’est glorieux de renvoyer certaines personnes à la maison à 42 ans ou un peu plus. 

Après la fermeture, qu’est-ce que vous devenez ? 

En 2003, j’ai continué en prenant la direction technique de toutes les mines du sud de la France afin d’assurer les travaux de sécurisation des sites tant en Provence qu’à Monceaux-les-Mines, dans le Tarn, l’Aveyron ou le Gard. Depuis Napoléon et le code minier, le sous-sol de la mine appartient à l’Etat. Ce dernier avait alors concédé des sous-sols à Charbonnages de France (propriétaire des mines de charbon françaises, ndlr) mais quand tout s’est arrêté, il a fallu le rendre à l’État. J’étais donc chargé du suivi des dossiers afin d’assurer un rendu des sous-sols aux normes.

pour plus tard
Des maquettes en allumettes pour se souvenir des mines du Nord

De 2003 à 2007, on a donc mené la surveillance « après-mine » avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). En 2005, on m’avait proposé de prendre la direction de ce BRGM mais j’avais refusé car, moralement, je considérais que j’avais participé à l’arrêt de la mine, à renvoyer des mineurs, parfois jeunes, à la maison. Je ne voulais donc pas continuer à travailler sur ce site en étant payé plein pot. À l’époque, je ne l’ai pas dit à ma femme parce qu’elle m’aurait traité de fou ! (rires)

Depuis, vous avez continué de travailler dans le secteur de l’énergie ?

Dès 2006, j’avais été approché par un porteur de projet local sur de la géothermie profonde à Meyreuil, commune limitrophe de Gardanne. En 2008, j’ai validé ce projet et j’ai créé ma société. J’ai donc enchaîné sans avoir de réelles coupures entre la fermeture de la mine et la suite de ma vie professionnelle. J’ai ensuite été contacté pour des petites expériences liées à des mines d’or et de tungsten dans le Béarn ou la Creuse par exemple. J’ai pu apporter mes compétences dans ces domaines.

Aujourd’hui, je reste un entrepreneur en participant notamment à un projet de géothermie profonde pour alimenter l’aéroport de Marignane et en présidant le district PACA et Corse de la société de l’industrie minérale.

À l’origine, l’exploitation se faisait en surface. Elle a terminé à 1400 mètres de profondeur.

Mémoire et postérité

Qu’est-ce que cela vous fait aujourd’hui d’être étiqueté comme étant le dernier directeur de la mine de Gardanne ?

C’est un sentiment particulier. Dernièrement, je suis retombé sur les DVD, sur l’histoire de la mine, qu’on avait donnés aux personnels avant leur départ. Je ne les avais pas regardés depuis douze ans. Je me suis dit que j’étais entré dans la mémoire et que, en quelque sorte, j’étais passé à la postérité. C’est aussi pour cela que j’aime animer des conférences afin d’instruire les jeunes générations sur les richesses de notre territoire. Mon seul objectif c’est transmettre la mémoire de la mine car derrière moi il n’y a personne.

Quand vous revenez sur ces lieux de l’ancienne mine, n’êtes-vous pas nostalgique ? 

Non pas vraiment, même si j’ai râlé pendant plusieurs années concernant les nombreux chantiers qui transforment le site. Le Pôle Yvon Morandat, le nom de l’ancien puits de la mine, a vivoté pendant un certain temps. Mais aujourd’hui, quand on voit les grues qui s’agitent et le nombre d’emplois qui vont être créés, je suis content. Après la fermeture du site, nous avons vendu, en 2004, les lieux à la ville de Gardanne. Il était inconcevable pour nous de laisser un tel terrain à l’abandon.

Quel avenir voyez-vous pour le charbon à l’échelle internationale ?

Je pense que l’on mettra près de cent ans en Europe avant d’en sortir. Depuis 1950, la décroissance du charbon s’est opérée en France. Nous avons vécu la fin de la fin mais il ne faut pas croire que c’est venu d’un coup en claquant des doigts.

Pour vous donner une comparaison, dans toute l’histoire de notre pays, nous avons produit quatre milliards de tonnes de charbon. C’est ce que l’on consomme chaque année dans le monde (L’Agence internationale de l’énergie montre que la consommation mondiale de charbon est estimée à 8 milliards de tonnes pour l’année 2022, ndlr). Cela donne une idée du challenge que l’on a aujourd’hui à relever en matière de mix énergétique.

Dans toute l’histoire de notre pays, nous avons produit quatre milliards de tonnes de charbon. C’est ce que l’on consomme chaque année dans le monde.

Jean-Claude Lazarewicz, ingénieur et ancien directeur de la mine de Gardanne

Politiquement aussi ça coince : la transition énergétique se fait sur le temps long et n’est pas du tout compatible avec le calendrier électoral. Ne faisons pas croire au grand public que la sortie du charbon s’opérera à la fin de la mandature d’Emmanuel Macron.

Poursuivez votre lecture avec cet article à découvrir dans notre magazine :

À Gardanne, « les plaies du charbon ne sont pas refermées »

L’ancienne mine de Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, se reconvertit lentement alors qu’un conflit social est né de l’incertitude qui pèse sur l’avenir de la centrale. Des tags muraux « grévistes pas terroristes ». Des barbelés et un poste de sécurité renforcé. L’entrée de la centrale thermique de Gardanne porte encore les stigmates des différends entre la direction, l’entreprise GazelEnergie, et le syndicat majoritaire. Une centaine de mètres …

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Remonter de la mine
Fermer